Jésus était un juif pieux et instruit, il a prié les psaumes comme les gens de son époque et il les a utilisés dans sa prédication. Rappelons-nous ce passage des pèlerins d’Emmaüs :(Et commençant par Moïse et les prophètes,) il leur expliqua dans les Ecritures tout ce qui le concernait » (Lc 24, 27).
Et aussi :
« Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au Mont des Oliviers » (Mt 26, 30 et Mc 14, 26)
Le mot psaume lui-même n’est pas très présent dans les évangiles (4 occurrences) mais il y est présent et nous allons voir ensemble comment.
Des exégètes ont recherché combien il y avait de citations du Premier Testament dans la bouche de Jésus. Ils ont compté :
Sur ces 21 citations, il en reste 16 à considérer, 5 allusions ne sont pas évidentes. Et sur ces 16, 13 de situent dans la dernière période de la vie de Jésus, entre la venue à Jérusalem jusqu’à la mort en croix.
On peut les regrouper en trois groupes :
En quel sens Jésus utilise-t-il ces psaumes ? Quelle signification lui donne-t-il ? S’en est-il servi pour dire quelque chose de lui-même ? Nous en resterons à ce que Jésus en dit, pas à ce que les communautés chrétiennes en ont déduit en les méditant.
Nous sommes là dans la controverse avec des groupes d’opposants. Nous allons voir trois textes : les vendeurs du Temple, les vignerons homicides, et une discussion au sujet du Messie. À chaque fois, Jésus fait le lien entre lui-même et les phrases des psaumes.
Le premier contexte est celui des vendeurs du temple chez Matthieu
12 Puis Jésus entra dans le Temple et chassa tous ceux qui vendaient et achetaient dans le Temple ; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes 13 Et il leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée maison de prière ; mais vous, vous en faites une caverne de bandits ! »14 Des aveugles et des boiteux s’avancèrent vers lui dans le Temple,et il les guérit. 15 Voyant les choses étonnantes qu’il venait de faire et ces enfants qui criaient dans le Temple : « Hosanna au Fils de David ! », les grands prêtres et les scribes furent indignés 16 et ils lui dirent : « Tu entends ce qu’ils disent ? » Mais Jésus leur dit : « Oui ; n’avez-vous jamais lu ce texte : Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu t’es préparé une louange ? » 17 Puis il les planta là et sortit de la ville pour se rendre à Béthanie, où il passa la nuit.
(Matthieu (TOB) 21, 12-17)
Après que Jésus ait chassé les vendeurs du Temple, les grands prêtres et les scribes protestent. Matthieu est le seul à mettre en scène des enfants qui crient une telle acclamation en relation avec David – le Messie ne doit-il pas descendre de David ? – ce qui permet d’introduire la remarque de Jésus, qui cite le psaume 8, verset 3 : Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu t’es préparé une louange
. Ces cris et ces louanges sont l’actualisation du psaume selon lequel des tout-petits et des nourrissons chantent la louange du Seigneur. Les chefs, l’élite religieuse se ferme, seuls les petits savent reconnaître le Messie :
25 En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : » Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.
Matthieu (TOB) 11, 25
(À noter que la traduction du psaume dans la bouche de Jésus est celle d’une traduction grecque du psaume.)
1 Et il se mit à leur parler en paraboles. « Un homme a planté une vigne, l’a entourée d’une clôture, il a creusé une cuve et bâti une tour ; puis il l’a donnée en fermage à des vignerons et il est parti.2 « Le moment venu, il a envoyé un serviteur aux vignerons pour recevoir d’eux sa part des fruits de la vigne.3 Les vignerons l’ont saisi, roué de coups et renvoyé les mains vides.4 Il leur a envoyé encore un autre serviteur ; celui-là aussi, ils l’ont frappé à la tête et insulté.5 Il en a envoyé un autre – celui-là ils l’ont tué –, puis beaucoup d’autres : ils ont roué de coups les uns et tué les autres.6 Il ne lui restait plus que son fils bien-aimé. Il l’a envoyé en dernier vers eux en disant : “Ils respecteront mon fils.”7 Mais ces vignerons se sont dit entre eux : “C’est l’héritier. Venez ! Tuons-le, et nous aurons l’héritage.”8 Ils l’ont saisi, tué et jeté hors de la vigne.9 Que fera le maître de la vigne ? Il viendra, il fera périr les vignerons et confiera la vigne à d’autres.10 N’avez-vous pas lu ce passage de l’Ecriture : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire.11 C’est là l’œuvre du Seigneur : quelle merveille à nos yeux ! »12 Ils cherchaient à l’arrêter, mais ils eurent peur de la foule. Ils avaient bien compris que c’était pour eux qu’il avait dit cette parabole. Et le laissant, ils s’en allèrent.
Mc 12, 1-12
Si on voit dans la vigne la figure d’Israël, dans les vignerons homicides les chefs religieux chargés de guider le peuple et dans les envoyés successifs les prophètes et les envoyés successifs de Dieu, il faut identifier le fils avec Jésus. La citation du psaume (Ps 118,22-23) est une annonce du mystère pascal : rejeté par son peuple, Jésus connaîtra la victoire et l’exaltation. Ce psaume, très important, sera aussi cité par Pierre dans son discours devant le Sanhédrin dans les Actes des apôtres :
8 Rempli d’Esprit Saint, Pierre leur dit alors : 9 « Chefs du peuple et anciens, on nous somme aujourd’hui, pour avoir fait du bien à un infirme, de dire par quel moyen cet homme se trouve sauvé. 10 Sachez-le donc, vous tous et tout le peuple d’Israël, c’est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu, c’est grâce à lui que cet homme se trouve là, devant vous, guéri. 11 C’est lui, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut : elle est devenue la pierre angulaire.
Ac 4, 8-11
et dans la première lettre de Pierre (1 P 2, 7)
7À vous donc, les croyants, l’honneur ; mais pour les incrédules la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle, 8 et aussi une pierre d’achoppement, un roc qui fait tomber. Ils s’y heurtent, parce qu’ils refusent de croire à la parole, et c’est à cela qu’ils étaient destinés.
(1Pierre (TOB) 2)
On retrouve à peu près le même texte dans les trois évangiles synoptiques. Jésus est dans le Temple et il prêche. C’est la première apparition du Ps 110 (verset 1) dans les évangiles :
35 Prenant la parole, Jésus enseignait dans le Temple. Il disait : « Comment les scribes peuvent-ils dire que le Messie est fils de David ? 36 David lui-même, inspiré par l’Esprit Saint, a dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds. 37 David lui-même l’appelle Seigneur ; alors, de quelle façon est-il son fils ? » La foule nombreuse l’écoutait avec plaisir.
(Marc (TOB) 12, 35-36)
Le psaume :
1 … Oracle du Seigneur à mon Seigneur : » Siège à ma droite, que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds !
(Psaume (TOB) 110, 1)
Jésus confronte deux conceptions contradictoires du Messie. La première c’est celles des pharisiens ou des scribes : le Messie doit être fils de David. La deuxième est celle que David (supposé être l’auteur du psaume) énonce lui-même qui voit le Messie comme « son Seigneur » et donc supérieur à lui. Jésus s’applique-t-il à lui-même cette phrase du psaume ? Nous n’avons pas le moyen de le savoir, mais elle nous dit beaucoup sur Jésus le Christ. Le psaume 110 est un psaume très important dans les premières communautés chrétiennes pour parler de la divinité du Christ.
Ce psaume sera aussi cité chez Marc pendant le jugement devant le Sanhédrin (Mc 14, 62). Dans cette discussion et dans celles que nous venons de voir, Jésus en utilisant un argument scripturaire pour répondre à ses opposants utilise un procédé bien connu des rabbins.
Marc raconte :
18 Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus dit : « En vérité, je vous le déclare, l’un de vous va me livrer, un qui mange avec moi. » 19 Pris de tristesse, ils se mirent à lui dire l’un après l’autre : « Serait-ce moi ? » 20 Il leur dit : » C’est l’un des Douze, qui plonge la main avec moi dans le plat.
(Marc (TOB) 14, 18-20)
Jean aussi rapporte :
17 Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. 18 Ce n’est pas de vous tous que je parle ; je connais ceux que j’ai choisis ; mais il faut que l’Ecriture s’accomplisse : Celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon.
(Jean (BJ) 13, 17-18)
On a là une citation du psaume 41 (surtout repris par Jean) :
10 Même l’ami sur qui je comptais, et qui partageait mon pain, a levé le talon sur moi.
(Psaume (TOB) 41, 10)
Le psaume 41 est la prière d’un malade abandonné par le siens. Chez Jean, la trahison de Judas entre dans le plan de Dieu : il faut que l’Ecriture s’accomplisse.
. Jésus ne parle plus de lui-même mais de son destin.
26Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers.
(Marc (TOB) 14, 26)
Jésus se retire pour prier, Marc, Matthieu et Jean (mais pas Luc !) notent un aveu singulier de Jésus :
34 Il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez ».
(Marc (TOB) 14, 34)
38Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez avec moi. »
(Matthieu (TOB) 26, 38)
27Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure.
(Jean (BJ) 12, 27)
Le vocabulaire est celui du psaume 42 :
6Qu’as-tu, mon âme, à défaillir et à gémir sur moi ?
(Psaume (BJ) 42, 6)
Les psaumes 22, 35, 41, 42, 69 sont cités par Jésus pendant sa passion. Ce sont tous des psaumes de lamentation. Ils ont tous servi à exprimer les sentiments du Christ à ce moment de sa vie. On pense au « serviteur souffrant » d’Isaïe (Is 52), image de l’innocent persécuté qui sauve son peuple.
La piété chrétienne a l’habitude de faire mémoire des sept paroles du Christ en croix. En fait on les trouve un peu mélangées dans les évangiles :
N° | Texte | Références | Mt | Mc | Lc | Jn | Psaume |
---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? | Mt 27, 46 Mc 15, 34 | X | X | Ps 22, 2 | ||
2 | Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font | Lc 23, 34 | X | ||||
3 | En vérité je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradi | Lc 23, 43 | X | ||||
4 | Père, entre tes mains je remets mon esprit | Lc 23, 46 | X | Ps 31, 6 | |||
5 | Femme voici ton fils (…) Voici ta mère | Jn 19, 26s | X | ||||
6 | J’ai soif | Jn 19, 28 | X | Ps 22, 16 Ps 69, 22 | |||
7 | Tout est achevé | Jn 19, 30 | X |
La première parole du Christ en croix a été très discutée : comment comprendre ce cri d’abandon ? Il y a deux tendances :
Luc a remplacé cette phrase par une autre, du psaume 31 : Dans ta main je remets mon souffle
: il s’adresse à des lecteurs grecs, moins familiers des psaumes et qui n’en connaissent pas nécessairement la fin.
La sixième parole (« J’ai soif ») n’est pas reprise d’un psaume, mais les deux psaumes les plus utilisés dans les récits de la passion (le psaume 22 et le psaume 69) font tout deux états de la soif comme l’une des souffrances du juste persécuté :
16Ma vigueur est devenue sèche comme un tesson, la langue me colle aux mâchoires.
(Psaume (TOB) 22, 16)
22 Ils ont mis du poison dans ma nourriture ; quand j’ai soif, ils me font boire du vinaigre.
(Psaume (TOB) 69,22)
Le Notre Père ne cite pas les psaumes directement. Mais il n’est pas une phrase, pas un mot – à part l’engagement au pardon fraternel – qu’on ne retrouve dans les psaumes.
Le psaume 145 nous donne la plupart des éléments :
le seigneur est roi… Que les cieux se réjouissent, que la terre exulte !… Que la campagne tout entière soit en fête, que tous les arbres des forêts crient alors de joie, devant le Seigneur, car il vient, car il vient pour gouverner la terre. Il gouvernera le monde avec justice et les peuples selon sa loyauté.
Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande… alors j’ai dit : » voici je viens. Au rouleau du Livre il m’est prescrit de faire tes volontés ; Mon Dieu, je veux faire ce qui te plaît et ta loi est tout au fond de moi ».
les yeux sur toi, ils espèrent tous, et tu leur donnes la nourriture en temps voulu ; tu ouvres ta mais et tu rassasies tous les vivants que tu aimes.
(v ; 15 et 16)
Ps 104, 14-15 : Tu fais pousser l’herbe pour le bétail, les plantes que cultive l’homme,tirant son pain de la terre. Le vin réjouit le cœur des humains… le pain réconforte le cœur des humains.
le Seigneur est l’appui de tous ceux qui tombent, il redresse tous ceux qui fléchissent.
(v. 14)
Le Dieu qu’on prie dans le Notre père est dans la ligne du Dieu des psaumes : un Dieu proche, saint et roi, qui donne, pardonne, et délivre du mal.
Le Notre père résume toute la prière des psaumes parce qu’il est partagé lui aussi en deux cris :
Il réunit les deux pôles du psautier :
Le bonheur humain : Ps 1
La gloire de Dieu : Ps 150
Mais il suit le mouvement inverse : il s’ouvre sur la gloire de Dieu et s’achève sur ce qui conduit au bonheur humain. Mais ce ne sont pas des domaines séparés, puisque tout doit s’accomplir « sur la terre comme au ciel. »
La nouveauté du Notre père, se situe à deux niveaux :
La tradition nous fournit des témoignages de la prière des psaumes par Jésus :
Trois fois par jour vous le prierez donc ainsi. Les Actes rapportent aussi la prière de l’après-midi (Ac 3, 1 ; 10, 3.30).
Les psaumes ont aussi des éléments de relecture de la vie du Chris. Trois psaumes sont très importants pour parler de Jésus Christ comme fils de Dieu :
St Augustin a appelé Jésus le chantre admirable des psaumes : Il a chanté avec sa voix, il a chanté avec sa vie, il continue de les chanter dans son Corps qui est l’Église
(Commentaires sur les psaumes).
Formatrice en liturgie et en études bibliques