Nous avons vu dans les précédentes séances que :
- le peuple hébreu puis le peuple juif priait les psaumes régulièrement, ils étaient dans leurs écrits.
- Jésus de Nazareth, en bon juif, priait lui aussi les psaumes, les évangiles nous le confirment. Ils y sont très présents, même et surtout dans la bouche de Jésus
- Les premières communautés chrétiennes, en se rappelant la vie et les paroles de Jésus les ont relus à la lumière de la résurrection et ont trouvé dans les psaumes des arguments pour affirmer la divinité de Jésus, devenu le Christ, ce Messie attendu envoyé par Dieu.
Les premières communautés chrétiennes
On a peu de traces de la façon dont priaient les premières communautés chrétiennes, mais il nous reste au moins des textes des pères de l’Eglise qui en parle : on appelle ainsi les premiers théologiens qui ont parlé et écrit sur Dieu et son Fils dès les premiers siècles nous donnent aussi des indications, car leur réflexion s’est appuyée beaucoup sur les psaumes.
Les Pères de l’Eglise
Les premières communautés chrétiennes avaient conscience d’être l’Israël nouveau, d’autant plus que les relations avec le judaïsme se distendaient, et elles ont vite adoptées les psaumes. On a vu dans une session précédente comment ces communautés avaient relus les psaumes pour parler de la divinité du Christ.
Saint Grégoire de Nysse (331/341-394), théologien et un évêque du IVe siècle, saint Augustin (354-430) et saint Grégoire le grand (vers 540-604, pape en 590, le 64e pape, à la fois issu du patriciat romain et du monachisme bénédictin), deux docteurs de l’Eglise, ont écrit sur les psaumes. Ce qui montre que dès les premiers siècles non seulement on priait les psaumes mais des théologiens y voyaient une richesse quant à leur usage dans la prière.
Une mention particulière pour saint Grégoire de Nysse qui a fait une sorte de carte spirituelle de l’itinéraire que représente la succession des 150 psaumes. C’est lui qui a mis en évidence que le premier mot du psautier est une béatitude : « Heureux » et le dernier la louange de l’Alléluia. Tout le cheminement des psaumes est une invitation à vivre la béatitude au cœur des aléas de ce monde en reprenant l’Alléluia d la victoire du ressuscité (ps 149).
Dès sa conversion, en 386, Augustin s’est mis à prier les psaumes. Quand il les découvre, il explose de joie. Quels cris, mon Dieu, j’ai poussés vers toi en lisant les psaumes de David, chants de foi, accents de piété où n’entre aucune enflure d’esprit !
Il voudrait aussitôt faire partager sa découverte, en particulier aux manichéens, une secte dont il fut un adepte pendant neuf ans. Ces derniers n’avaient que mépris pour tout ce qui venait de l’Ancien Testament, où ils voyaient à l’œuvre un Dieu mauvais. « J’aurais voulu qu’ils se fussent trouvés là, et qu’ils aient regardé mon visage et entendu mes cris ! » Désormais, le chant des psaumes rythme savie de chrétien, puis de moine. Bientôt, il entreprendra le commentaire intégral des 150 psaumes.
Saint Benoit (vers 480/490-547) a écrit comment psalmodier dans sa règle monastique. Il dit dans le chapitre qui lui est consacré : Tenons-nous dans la psalmodie de façon à ce que notre âme soit accordée à notre voix
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Les conséquences indirectes de la Réforme
Sans remonter très loin, dans la liturgie d’avant Vatican II les psaumes n’avaient pas leur place dans la liturgie eucharistique. La « messe », comme on disait de façon exclusive comprenait un » avant messe » qui allait de la prière d’introduction jusqu’avant l’« Introït » , puis la liturgie des catéchumènes de l’Introït jusqu’à l’homélie (on disait souvent le sermon), enfin la liturgie des fidèles qui est le Saint Sacrifice. Pour être « valable » on devait y assister du « calice découvert » au moment de l’offertoire jusqu’au « calice recouvert » après la communion. On ne parlait alors pas de liturgie de la Parole.
L’avant-messe comprenant la lecture d’une épitre, de Paul la plupart du temps, puis une prière appelée le « Graduel », l’Alléluia (ou le Trait pour les dimanches de Carême) et ensuite l’Évangile. Pas de lecture de l’Ancien Testament. La seule trace de psaume dans la messe était le chant de l’Introït, tiré du psaume 42 de la liturgie : Introïbo ad altare Dei…
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Pendant longtemps, dans l’Église catholique, lire la Bible de trop près « ça faisait protestant ». Cela a été la conséquence des conflits doctrinaux issus de la Réforme au XVIe siècle : les protestant voulant remettre en avant la Parole de Dieu, lue en plus dans la langue du pays, la Contre-Réforme catholique a insisté sur l’Eucharistie et ce qu’on a appelé la « Transsubstantiation », c’est-à-dire la forme de la présence réelle du Christ dans l’hostie consacrée. Une des conséquences est que si les protestants ont minimisé l’Eucharistie pour se démarquer des catholiques, ceux-ci ont minimisé la lecture de la Bible pour se démarquer des protestants !
Dans les missels plus modernes, on parle de Rites de l’entrée, de Liturgie évangélique et de Liturgie eucharistique. À noter que les offices comme les vêpres comportaient la lecture de psaumes.
Vatican II
Ce n’est qu’à partir de Vatican II que les choses changeront. Actuellement les catholiques pensent que le Christ est aussi réellement présent dans la Parole de Dieu, et les protestants, au moins chez les anglicans et les luthériens, pensent que le Christ est réellement présent pendant le récit de la Passion (La Sainte Cène). À noter que déjà saint Thomas d’Aquin au XIIe siècle, qui fut le penseur officiel de l’Église catholique jusqu’à Vatican II, disait qu’il fallait faire la différence entre la « substance » (ce qu’elle représente) et l‘« accident » (sa réalité physique) de l’hostie consacrée.
Dei Verbum
La Constitution dogmatique sur la Révélation divine, connue sous le nom de Dei Verbum et promulguée le 18 novembre 1965 a changé beaucoup de choses.
Le paragraphe 14 parle de l’Histoire du Salut consignée dans les Livres de l’Ancien Testament : L’économie du Salut annoncée, racontée et expliquée par les auteurs sacrés apparaît comme vraie parole de Dieu dans les Livres de l’Ancien Testament ; aussi ces livres divinement inspirés gardent-ils une valeur perpétuelle
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Le paragraphe 15 traite de l’importance de l’Ancien Testament pour les chrétiens : Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine. C’est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s’exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d’admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut.
Le paragraphe 25 a ce titre : La lecture de la Sainte Ecriture est recommandée :
(…) En effet, l’ignorance des Ecritures, c’est l’ignorance du Christ ». Que volontiers donc ils abordent le texte sacré lui-même, soit par la sainte liturgie imprégnée des paroles de Dieu, soit par une pieuse lecture, soit par des cours appropriés et par d’autres moyens qui, avec l’approbation et par les soins des pasteurs de l’Eglise, se répandent partout de nos jours d’une manière digne d’éloges.
Sacrosanctum Concilium
La Constitution Sacrosanctum Concilium est la constitution sur la Sainte Liturgie. Elle a été promulguée le 4 décembre 1963, avant Dei Verbum. Le paragraphe 7 consacré à la présence du Christ dans la liturgie dit :
Il [Le Christ]est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Mt 18, 20)
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Au paragraphe 24, Bible et liturgie : Dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture a une importance extrême. C’est d’elle que sont tirés les textes qu’on lit et que l’homélie explique, ainsi que les psaumes que l’on chante
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Paragraphe 30, sur la participation des fidèles : Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré.
Cette Constitution parle aussi de la prière des « heures », que l’on abordera tout à l’heure (paragraphes 89, 90, 91)..
La liturgie d’aujourd’hui
La liturgie de la Parole est une conséquence indéniable de Vatican II ce quit fait dire qu’il n’y a pas d’Eucharistie sans la Parole (C’est d’ailleurs aussi valable pour l’adoration eucharistique). Actuellement il y a à chaque dimanche :
- une lecture du Premier Testament
- Un psaume qui « résonne » sur cette première lecture
- Une épître ou un passage des Actes des Apôtres
- L’Alléluia
- L’Evangile
En semaine la deuxième lecture est omise.
Introduction au PTP (la Prière du Temps présent)
Dès les commencements, les baptisés étaient assidus à recevoir l’enseignement des Apôtres, à participer à la vie commune, à la fraction du pain et aux prières.
(Ac 2, 42)
Les Actes des Apôtres attestent à plusieurs reprises, que la communauté chrétienne priait d’un seul cœur (Ac 1, 14 ; 4, 24 ; 5, 12 ).
Dans l’Église primitive, les fidèles priaient individuellement à heures fixes. Puis la prière commune s’est dite à certaines heures fixes : la dernière heure du jour lorsque le soir tombe et qu’on allume la lampe, ou bien la première heure.
Dans les Actes nous voyons encore que les disciples se rassemblaient à la troisième heure
(Ac 2, 1-5). Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure (Ac 3, 1) Au milieu de la nuit, Paul et Silas, louaient Dieu
(Ac 16, 25).
Ces prières faites en commun, allaient constituer progressivement un cycle d’heures bien définies. La Liturgie des Heures ou Office divin, complétée par des lectures, est avant tout une prière de louange et de supplication. Elle est prière de l’Église avec le Christ et adressée au Christ.
On pourrait penser au premier abord, que cette prière officielle de l’Église soit impersonnelle, ritualiste et dépourvue de sentiments. Il est vrai qu’elle est structurée et que nous la recevons d’une Église de priants qui nous a précédés. C’est en cela d’ailleurs qu’elle est une école de prière.
La prière des heures permet de nous aider à tenir une attention continuelle à la présence de Dieu. Ses divisions ont varié depuis les premiers apôtres jusqu’au concile Vatican II. Ce concile a refondu les offices pour les rendre accessibles aux laïcs. Mais elle demeure à travers les âges la grande prière de l’Église.
Les offices les plus importants se situent au début et à la fin du jour. Ils marquent le passage àla lumière ou aux ténèbres.
Les laudes sont des « louanges » adressées au Seigneur au réveil. L’aube nous rappelle l’aurore du salut promis à Israël et la clarté du ressuscité qui nous inonde de la gratuité de son amour.
Les vêpres viennent du mot latin vesper « soirée », qui désigne également l’astre lumineux Vénus, visible dès la tombée du soir. Au terme d’une journée de travail, au cours d’une journée où nous avons marché avec le Christ, elles nous permettent de nous arrêter pour retrouver le goût plus intime de sa présence. Notre action de grâce monte devant lui comme un encens, mais aussi nos prières d’intercession pour ceux qui en ont besoin.
Entre ces deux offices, prend place l’heure médiane, l’heure du milieu du jour. Elle remplace les trois petites heures nommées : « tierce » au milieu de la matinée, qui rappelait la Pentecôte ; « sexte » qui marquait la splendeur de midi et la crucifixion ; « nonne » enfin, vers trois heures, en lien avec la mort du Christ.
À l’heure de notre choix, peut être dit l’office des lectures, temps d’écoute des Écritures et de leurs commentaires inspirés. Il remplace l’office de nuit (nocturnes, vigiles ou matines) chanté par les moines.
Enfin, juste avant de se coucher, les complies (de complementum, achèvement) : elles font entrer dans le grand silence de la nuit.
Après un examen de la journée, on peut dire avec Syméon, notre joie d’avoir vu la lumière, et nous confions notre sommeil à Marie.
À l’unisson de l’Eglise
La prière des Heures, nous met à l’unisson de la marche de l’univers et de l’Église. Elle nous fait entrer dans le « prier sans cesse » de Jésus en Lc 18, 1, repris par St Paul en 1 Th 5, 17.
Elle est prière du Christ.
Le Christ prie le Père, et ainsi il nous apprend à mettre des paroles humaines pour prier le Père.
Nous avons dans l’Évangile plusieurs témoignages de la prière de Jésus. La PGLH [1] dit à un moment n°108) : celui qui prie les psaumes dans la Liturgie des Heures, les prie « en tenant la place du Christ lui-même. » On pourrait adapter à cela la phrase de Paul aux galates : Ce n’est plus moi qui prie, c’est le Christ qui prie en moi.
(Gal 2, 20)
Elle est prière de l’Église.
Prier avec la prière de l’Église, c’est accepter de ne pas tout diriger… Par exemple, je ne choisis pas l’hymne, et je peux avoir un hymne de joie, un jour où je suis triste. C’est une façon d’accepter de faire partie du Corps du Christ en me laissant dessaisir de mes choix et de mes sentiments personnels, et en participant à une communion non seulement dans le Christ et l’Église, mais avec toute l’humanité avec laquelle et au nom de laquelle je prie.
Elle utilise les « mots mêmes de Dieu »
Quelqu’un faisait un jour cette réflexion à propos des psaumes : « C’est la parole de Dieu qui retourne à Dieu en passant par nous. »
La Prière de l’Église n’est pas un monologue ; elle est la continuelle réponse offerte à Dieu au nom de l’humanité, reprenant les mots mêmes qu’il nous a adressés.
« Dieu n’aurait pu faire aux hommes plus grand don que celui-ci : de son Verbe, par qui il a créé toutes choses, il fait leur chef, et d’eux il fait ses membres, pour que lui, soit Fils de Dieu et Fils de l’homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes ; pour qu’en parlant à Dieu nous ne séparions pas de lui son Fils, pour qu’en priant, le corps du Fils ne sépare pas son chef de lui-même : pour qu’il soit l’unique sauveur de son corps, Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui, à la fois, prie pour nous, prie en nous et est prié par nous. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il est prié par nous comme notre Dieu. Reconnaissons donc nos paroles en lui, et ses paroles en nous. »
St Augustin
Elle est prière de louange, de fils vers le Père
Louange offerte à Dieu en union avec l’Église du ciel.
Par la louange des heures offerte à Dieu, l’Église s’associe au chant de louange chanté dans les cieux. En même temps elle perçoit un avant-goût de la louange céleste décrite par saint Jean dans l’Apocalypse.
Cette liturgie céleste, les prophètes l’ont contemplée à l’avance dans la victoire du jour sans nuit, de la lumière sans obscurité : Tu n’auras plus le soleil comme lumière le jour, la clarté de la lune ne t’illuminera plus, mais le Seigneur sera ta lumière éternelle
(Is 60, 19) et (Ap 21, 23-35) PGLH n° 16.
Dans la liturgie des heures, nous proclamons cette foi, nous exprimons et nourrissons cette espérance, nous participons en quelque sorte à la joie de la louange perpétuelle et du jour qui ne connaît pas de crépuscule. (N° 16)
Cette liturgie n’est pas une affaire de spécialiste réservée aux prêtres, religieux et religieux. La prière de l’Église est la prière de tous les chrétiens. .