Une invitation amicale, une promenade en calèche tirée par deux ânes, une belle après-midi ensoleillée, et me voilà en route vers une méditation sur la paix !
J’ai toujours aimé les ânes, et comme j’ai rêvé dans ma jeunesse de parcourir le monde, armée de ma guitare et accompagnée de l’un d’eux ! Cela ne s’est pas fait, mais pendant près d’une heure j’ai eu le bonheur de pouvoir humer la bonne odeur des chemins de Landrellec au pas paisible d’Ugolin et de Chopin.
Le partage de la conversation n’a pas empêché mon esprit de vagabonder au gré du petit âne gris d’Hugues Auffray, « image d’évangile vivant d’humilité », celui « si doux » de Francis James ; le porteur de reliques de Jean de la Fontaine « prenant pour lui l’encens et les cantiques », celui de la fuite en Égypte ou de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, portant sur son dos le Roi acclamé de hosannah retentissants, un âne symbole fort de pauvreté et de paix à l’image de ce qui allait se vivre dans la Passion et la Résurrection de « Celui qui vient au nom du Seigneur ».
Mais s’il est une ânesse que j’affectionne particulièrement, c’est celle de Balaam dont l’histoire nous est contée dans l’Ancien Testament au livre des Nombres aux chapitres 22, 23 et 24.
Balaam, prophète étrange et devin de grande réputation, est sollicité par Balaq roi de Moab, sur le territoire duquel campent les Hébreux à leur sortie d’Égypte et en attente de la Terre promise. Celui-ci est inquiet de la présence de ce peuple étranger qui « broute son herbe » et demande à Balaam qui a le pouvoir de bénédiction et de malédiction, de maudire Israël pour qu’il puisse battre et chasser ces intrus. Dans un premier temps Balaam refuse, fidèle à la parole de son Dieu, mais appâté par la gloire et l’argent promis, il accepte le deal et se met en chemin monté sur son ânesse : « Tu veux y aller ? Eh bien, vas-y ! » (v.20). Dieu le laisse libre mais l’accompagne en lui envoyant son ange. Balaam, aveuglé par son orgueil, ne voit pas l’ange du Seigneur l’épée à la main qui veut lui barrer la route, alors que l’ânesse elle, le voit et dévie de sa trajectoire par deux fois. Son maître la frappe pour la remettre dans le bon chemin. La troisième fois, ne pouvant dévier, l’ânesse s’affaisse sous un Balaam très en colère qui redouble de coups, et… elle se met à parler afin que son maître comprenne le message de l’ange et que ses yeux se dessillent !
Dans une pédagogie pleine d’humour, Dieu laisse Balaam libre d’assumer la conséquence de ses choix : « Va avec ces hommes, mais tu diras seulement la parole que je te dirai. » (v. 35). Nous assistons ensuite à la rencontre entre Balaq et Balaam.
Si mon récit aiguise votre curiosité, je ne peux que vous encourager à le lire, vous découvrirez que les paroles de ce dernier par qui Dieu s’exprime, ne sont plus que bénédictions pour Israël le peuple qu’il devait maudire, annonce de paix et de prospérité dans la Terre promise.
À la fois drôle et sérieux, relève-t-il du conte ou du récit historique ? Qu’importe ! Le drame, l’ironie et les paradoxes, fascinent et laissent perplexes à la fois. Mais alors, me direz-vous, pourquoi le choisir pour illustrer un sujet sur la paix ? Je ne saurais trop le dire. Ce que je sais c’est que la promenade au pas d’Ugolin et de Chopin, m’a ramenée à leur collègue dont on ignore le nom, et que j’ai reconnu en l’orgueil flatté d’un Balaam prophète mercenaire et corrompu allant contre le plan de Dieu, ainsi que dans le désir d’un Balaq d’anéantir un peuple qui le gênait, l’écho d’un orgueilleux tyran obstiné et plongé dans une nuit obscure. Et je me suis dit : Ah ! Si seulement ils avaient la même ânesse en Russie !
Replongée dans ce texte, j’ai compris une fois de plus, que Dieu agit à travers paradoxes et écarts de conduite, à travers des évènements qui nous déstabilisent. Ses chemins ne sont pas les nôtres ! Une ânesse plus clairvoyante que son maître et qui se met à parler en faisant reconnaître au devin son erreur, devient porteuse du message de l’Ange pour un peuple maltraité… Alors naît en moi l’espoir pour que la paix revienne en Europe comme il y a 77 années un huitième jour du joli mois de mai.