s 50, 4-7 ; Ps 21 ; Ph 2, 6-11 ; Mc 14, 1 – 15, 47
La passion de notre Seigneur Jésus Christ dont nous venons d’entendre le long récit en saint Marc est un drame. Où se joue-t-il, ce drame ?
Pas au théâtre : qui sont fermés (nous espérons pouvoir y retourner prochainement) ; d’ailleurs, il ne s’agit pas d’une représentation. Pas non plus à la télévision (où le JT nous présente bien souvent des drames humains faits de violences, de conflits proches ou lointains …)
Non, c’est à domicile qu’il se joue, dans notre cœur encore « confiné ». C’est là que le Christ veut nous entraîner avec lui pour cette grande aventure : descendre au plus profond de notre être pour y apporter sa Lumière, son Amour, sa Vie. C’est ce qui se joue cette semaine sainte ! Le drame de la Passion du Christ est le drame de notre humanité, le drame de notre vie, de ma vie. Cela nous concerne tous, tout être humain, pas seulement les cathos.
Dans la passion du Christ, c’est bien de Vie dont il est question et non de mort. Cette semaine, nous allons vivre des chemins de croix, vénérer la croix du Christ mais ce n’est pas la fin (finalité) de notre carême. Le Christ est vivant, ressuscité ! Ne faisons pas, ne vivons pas comme s’il était encore mort.
Trop souvent, chrétiens, nous avons des airs de Carême sans Pâques.
Le combat que Jésus va livrer dans ces jours ultimes est le combat dont il est sorti vainqueur contre les forces de haine, de violence, d’ironie, …. qui se déchainent contre lui. En entendant ce récit de la Passion, ne faisons pas fausse route en cherchant des coupables à la mort de Jésus : les Romains, les Juifs, les grands prêtres, Pilate, Hérode, les traîtres, les renégats, les silencieux, … les « méchants ». Si nous sommes honnêtes, nous devons reconnaître que nous sommes tous traversés par ces tentations de violence, de haine, de vengeance, de fuite, de silence complice, de mensonge …
Le plus grave n’est pas cette violence présente en notre cœur ; non, le plus grave, c’est notre aveuglement, notre surdité, notre enfermement, la tentation de nous croire parfaits ou bien de vouloir nous sauver nous-mêmes, seuls, la tentation de nous passer de Dieu et des autres. (« Sauve-toi toi même » lance-t-ton à Jésus en croix). Le plus grand danger qui nous guette, c’est l’« enfer-mement », le refus d’accueillir le salut, la vie d’un autre. Inconsciemment, nous nous mettons une pression incroyable en voulant apparaître autre que ce que nous sommes, en n’assumant pas notre condition humaine vulnérable avec sa part d’ombre, ce que nous appelons notre péché.
J’ose une question, non pas pour nous culpabiliser, mais pour nous responsabiliser (nous inviter à apporter notre propre réponse à l’Amour de Dieu), nous éveiller : Qu’en est-il du sacrement du pardon dans ma vie chrétienne ? L’ai-je relégué aux oubliettes, dans les vieux confession-naux poussiéreux ? En disant « Je n’ai rien fait de mal … je n’ai tué personne … je n’ai plus l’âge de pécher … ». Avons-nous encore l’âge d’aimer, de croire, d’espérer ? C’est cela que nous devons nous demander : avons-nous encore envie de vivre, de grandir … ?
La première chose que nous faisons dans la célébration du sacrement du pardon : nous venons confesser l’Amour de Dieu. Et parce que je crois en son Amour, j’ose lui demander pardon… C’est ce qui est en jeu dans toute démarche de réconciliation : est-ce que je préfère rester replié sur moi-même, enfermé dans mon ressentiment ou bien est-ce que j’ose faire le pas de la confiance et de l’amour ? La miséricorde de Dieu a-t-elle encore une chance de toucher mon cœur, de le bouleverser, de le déconfiner pour qu’il batte à nouveau, qu’il puisse vivre et aimer ? ou bien agit-elle comme l’eau sur les plumes d’un canard ?
Après son reniement, si Pierre s’enferme dans sa tristesse, dans la honte d’avoir trahi Jésus, il n’y a plus d’avenir pour lui. Sa vie n’est plus qu’une longue attente de la mort. Mais Pierre rencontre le Christ ressuscité (« M’aimes-tu ? » lui demandera-t-il à trois reprises) : Il lui pardonne, le relève, lui renouvelle son amour, alors une nouvelle aventure commence : pas seulement la sienne mais celle de l’Eglise du Christ ressuscité.
En refusant de reconnaître notre péché, nous nous interdisons d’accueillir la Lumière du Ressuscité, nous nous coupons doucement de la source de la vie, nous laissons s’ensabler la source d’eau vive.
Cette semaine, les évêques de France nous ont adressé un courrier, qui me semble particulièrement révélateur de ce que je tente d’exprimer : leur déclaration commune fait suite aux abus commis dans l’Eglise. Peut-être certains diront : « Encore ! … ça suffit de battre sa coulpe ! … Ce n’est pas pire qu’ailleurs … »
Je cite simplement deux extraits de leur lettre :
« Comme vous, nous avons honte pour notre Eglise. Vous vous sentez blessés dans votre confiance en elle. Vous continuez vos engagements de foi. Vos réactions sont diverses ! »
« Nous, évêques, reconnaissons que nos prédécesseurs n’ont pas toujours été assez attentifs au sort des enfants agressés. Sans prétendre que nous aurions fait mieux à leur place et en leur temps, l’Évangile que nous prêchons et dont nous essayons de vivre nous enjoint à l’attention aux plus petits. Le Christ, notre Seigneur, nous avertit que le scandale devant Dieu n’est pas la perte de réputation d’une personne ou d’une institution mais le fait de faire tomber, d’abîmer un « petit » et de l’empêcher d’avancer vers la bonté du Père. Nous implorons humblement pardon pour tous les cas d’indifférence ou d’incompréhension dont des responsables ecclésiaux ont pu faire preuve. » (Lettre des évêques de France aux catholiques sur la lutte contre la pédophilie, 25 mars 2021). Cette déclaration se termine par l’annonce de décisions concrètes.
A notre évêque qui nous a adressé personnellement cette lettre, j’ai tenu à exprimer ma reconnaissance. J’apprécie ce message courageux de la part des évêques. Le ton me semble juste, à la fois lucide, humble et fraternel, sans chercher de fausse excuse. C’est de cette Eglise-là dont notre monde a besoin aujourd’hui. Une Eglise qui ne soit plus soucieuse d’elle-même, mais bien de l’Evangile qui la transforme, la bouscule et la renouvelle. Si l’Eglise poursuit sur ce chemin de conversion, elle redeviendra prophétique (au sens de la vocation du prophète Isaïe : « Chaque matin, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute » Is 50), une Eglise qui sait se mettre à l’écoute (de Dieu et des hommes) avant de prendre la parole.
Ma prière de chrétien, de prêtre, rejoint celle du Pape : « Seigneur, délivre-nous de la tentation de vouloir nous sauver nous-mêmes et de sauver notre réputation » (Pape François, février 2019).
Oui, que l’Eglise sorte de sa nostalgie de la chrétienté, qu’elle retrouve sa liberté d’expression pour annoncer et vivre l’Evangile (non pas de préchi précha), qu’elle abandonne sa position dominante, qu’elle adopte enfin la position basse du Christ serviteur (Ph 2), à genou pour laver les pieds de ses disciples (Jn 13).
Alors l’Eglise redeviendra prophétique, laissant de côté son souci de paraître autre que ce qu’elle est appelée à être : sainte Eglise de pécheurs dont la seule richesse est la Miséricorde de Dieu qui transforme nos vies d’hommes et de femmes.
Au pied de la croix, la vie du Christ a semblé un échec total pour ceux qui l’ont suivi.
Durant cette semaine sainte, n’ayons pas peur de suivre le Christ jusqu’au bout. (« Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » Jn 13, 1b). Frères et soeurs, ne nous arrêtons pas en chemin : au jeudi saint, au vendredi saint ou au samedi saint. Allons jusqu’au matin de Pâques pour accueillir la joie et la vie du Ressuscité !