Lorsque Jésus a commencé son ministère, connaissait-il déjà ceux qu’il comptait envoyer en mission 2 par 2 ? Non sans doute. On parle ici des disciples, pas des apôtres. Les apôtres, c’est le premier cercle, ceux sur lesquels Jésus fondera l’Eglise. Les disciples sont ceux qui ont reçu la foi et suivent son enseignement. Or, en recevant la foi, on reçoit aussi mission de la partager ! Ecoutons Madelaine Delbrel : « Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous n’avons pas le droit de ne pas la recevoir ; une fois que nous l’avons reçue, nous n’avons pas le droit de ne pas la laisser s’incarner en nous ; une fois qu’elle s’est incarnée en nous, nous n’avons pas le droit de la garder pour nous : nous appartenons dès lors à celles et ceux qui l’attendent. » (M. Delbrel – « Nous autres, gens des rues »)
C’est pourquoi Jésus en désigne 72 pour porter la parole aux lointains, à celles et ceux qui ne font pas partie du cercle rapproché, ceux qui ne sont pas « dans l’Eglise ».
Il en désigne 72. Avec la Bible, il faut toujours interroger la symbolique des chiffres : 72, c’est 6 fois 12.
12, c’est facile : les 12 tribus d’Israël ; les 12 apôtres choisis par Jésus, qui signifient l’universalité = Sa parole est pour tous, et personne n’en est exclu !
Mais 6, qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Ne serait-ce pas les 6 jours de la création (car le 7ième, Dieu se reposa). Ainsi, les 72 envoyés participeraient d’une manière nouvelle à l’œuvre de création de Dieu adressée à tous les humains !
Il les envoie aussi 2 par 2. C’est ce que nous vivons avec Dominique depuis dix ans, deux prêtres de la mission en France envoyés par l’Eglise à Lannion. Il s’agit pour nous d’inscrire un signe missionnaire qui passe par l’habitat, par le travail professionnel, par les engagements associatifs, par les actions de solidarité… et par la durée ! autant de manières de vivre l’hospitalité ! Comme les 72, nous sommes 2 et c’est heureux, car seul ce serait trop lourd à porter ! La mission comporte des hauts et des bas, des moments de tensions tout comme des temps de gratitude ; des périodes d’indécision, où il est bon d’être à deux pour discerner le chemin à prendre… Et puis, plus simplement, vivre la fraternité simple des disciples envoyés !
Le texte comporte aussi des prescriptions : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ » Là encore, chercher la symbolique et non la matérialité : Pas de bourse, c’est-à-dire pas d’argent à conserver pour payer ses dépenses, afin d’être dans une relation de dépendance vis à vis de celles et ceux qui nous accueillent. La dépendance suscite la compassion, qui ouvre l’intérêt de la relation, et non pas la relation d’intérêt !
Pas de sac, pour ne pas s’encombrer de choses, toutes ces choses qui envahissent si facilement notre quotidien. Sans être sujets du syndrome de Diogène, on peut simplement se dire qu’il faut voyager léger quand on veut traverser la vie avec l’évangile pour bagage !
Pas de sandales ? Quelle drôle d’idée !! C’est indispensable si on ne veut pas se meurtrir les pieds en marchant ! Il s’agit peut-être alors de garder contact avec la terre, car nous ne sommes pas des anges. On connait le proverbe attribué à Pascal, le philosophe : « Qui veut faire l’ange fait la bête ! » Jésus n’envoie pas des anges pour annoncer l’évangile (il le pourrait !), mais bien des humains !
Il dit encore qu’il ne faut pas saluer des personnes rencontrées en chemin. Cela fait pourtant partie des conventions sociales comme de la politesse élémentaire. Pourquoi ne le souhaite-t-il pas ? Sans doute veut-il pas qu’on s’éternise car il y a urgence à annoncer l’évangile !
Enfin la paix ! C’est le souhait à faire quand on entre dans une maison : « Paix à cette maison ! » Si on ne le dit pas, généralement on le vit par la manière dont on accueille nos hôtes ou dont on se laisse accueillir. La paix est la condition de la rencontre, et l’on mesure de plus en plus combien elle est fragile, condition du vivre ensemble dans ces temps troublés. Ce n’est pas étonnant que notre pape Léon XIV l’ait prononcée au balcon de Pierre le soir de son élection. C’est sans doute le plus grand souhait qu’on puisse vouloir pour notre monde aujourd’hui ! Et même si cette paix n’est pas reçue, qu’au moins elle ne quitte pas ceux qui l’ont annoncée !
Ce texte de l’envoi des 72 est comme un guide, une feuille de route des disciples qui s’engagent avec Jésus. Il y aurait encore beaucoup à dire … Mais même si on ne quitte jamais sa ville ou sa maison, il y a mille et mille manières de vivre cet envoi comme les 72 : Proclamer que le règne de Dieu est là, ici et maintenant, et d’abord en le vivant au quotidien ; Guérir, panser les plaies, apaiser les tourmentés !…
Proclamer et guérir, c’est le boulot du disciple. Vécu par chacune et chacun de nous, il fait dire à Jésus ces paroles incroyables : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair ! » C’est comme si le Royaume, qui se tisse et s’étend de mille et mille manières, déchainait les forces qui s’opposent à lui. Mais c’est peine perdu, car Jésus lui-même l’a dit aux disciples : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33). Il est avec nous chaque jour… jusqu’à la fin du monde ! (Mt 28, 20) A nous d’apprendre à vivre chaque jour avec Lui…