Rechercher

"Qu'ils deviennent parfaitement un"

Jn 17,20-26

Il y a plus de 3700 versets dans les quatre évangiles. Et parmi eux, il en est moins de 40 où Jésus s’adresse à son Père. Moins de quarante petits versets pour entrevoir l’intimité de Jésus avec son père. Sur cette petite quarantaine, il y a les 26 du chapitre 17 de Jn. Les 3700 autres nous parlent de l’œuvre de Jésus et de son Père pour nous. Dans cette poignée de versets, Jésus s’adresse à son Père devant nous. Dans cette prière, il y a un verbe qui m’a surpris : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi… » ‘Je veux’ : ce n’est pas un mot de prière. C’est plutôt un mot de revendication. C’est un peu comme si Jésus disait à son Père : ‘Va jusqu’au bout de ton don !’ Ce n’est pas rien d’être accueilli dans cette intimité du Père et du Fils.

        Aujourd’hui, il nous est donné d’entendre les derniers versets de cette prière de Jésus à son Père. Je vous invite à prendre le temps de lire et relire l’ensemble du chapitre. C’est un texte à ruminer, à mâcher. Il faut du temps pour y entrer dans ce texte, mais tous les mots sont simples : le texte ne s’adresse pas à des savants. Il s’adresse au cœur.

        Essayons d’entrer dans le mouvement de ce texte. Je dis le mouvement parce que l’image qui me vient en le méditant, c’est la fabrication de la mayonnaise. La recette est simple, mais il faut un bon tour de main. Dans cette mayonnaise, il y a le Père et le Fils et Saint Esprit qui n’est pas loin : il a été longuement promis dans les chapitres précédents. Ce qui fait l’unité de la mayonnaise, c’est les gouttes d’air introduites grâce au mouvement : c’est l’Esprit qui nous incorpore parce que l’huile, c’est nous. Nous, mais pas en masse : si on verse trop d’huile d’un coup, la mayonnaise est ratée. « Entrez par la porte étroite. Elle est large la porte qui conduit à la perdition » dit Jésus en Matthieu. Quand on entre en masse quelque part, c’est rarement bon : la masse efface les sujets.

        J’en vient donc au texte.

        « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »

        Quand est-ce que l’on peut être l’un dans l’autre ? Par exemple, quand l’autre me parle et que j’accueille sa parole, il est en moi et réciproquement, je suis en lui quand j’accueille sa parole. C’est quand la parole de l’autre demeure en moi et que la mienne demeure en lui. ‘Demeurer’ : un mot cher à Saint Jean.

        Et comment on peut être un, l’un dans l’autre, tout en restant l’un et l’autre ? Dans l’unité du Père et du Fils, le Père reste père et le Fils reste Fils. J’en ai une image avec la phrase composée de plusieurs mots mais qui forment une unité de sens. L’esprit rassemble les mots en une unité qui donne un sens à la phrase. L’évangile de Saint Jean commence par : « Au commencement était le Verbe. » Tous les mots de la phrase ont leur place, même si le verbe est primordial.

            « Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croit que tu m’as envoyé. »

            Cette unité, comme une phrase, est faite pour être comprise et crue par le monde, comme pour embarquer le monde dans la mayonnaise.

        « Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi. »

        Après la parole qui s’entend, vient la gloire qui se voit. La gloire, c’est le poids, la densité de vie, le rayonnement d’une personne. Mais pour nous, les hommes, la gloire est le fruit de nos actions plus ou moins glorieuses : ce sont les actions glorieuses qui nous rendent glorieux. Avec le Père, c’est l’inverse : c’est le Père qui donne la gloire au Fils qui la transmet à ses disciples. La gloire du Père s’est manifestée en Jésus-Christ pour que nous puissions la manifester au monde. St Irénée disait : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant ». Comme il y a une mayonnaise de la Parole, il y en a une de la gloire, et elles ne font qu’un.

        « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

        Tout ça, c’est une histoire d’amour. La finalité, le but du Père, c’est que, par Jésus et par ceux qui le suivent, le monde croit qu’il est aimé du Père. « c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples » dit Jésus à ses disciples après leur avoir lavé les pieds. L’amour, qu’il soit entre une femme et un homme, entre amis, dans une communauté, l’amour unifie tout en respectant les différences. Et même l’unité s’enrichit des différences.

        J’en reviens à ce ‘je veux’ que Jésus adresse à son Père. Ce ‘je veux’ qui m’a surpris au milieu de cette prière. Ce ‘je veux’ vient de l’amour de Jésus pour ceux que le Père lui a donné : ce serait un non-sens d’être séparé de ceux qu’il lui a été donné d’aimer. Il est donc légitime dans notre prière de dire à Dieu ‘je veux’ quand il s’agit des liens qui nous unissent dans l’amour. Les psaumes sont pleins de ‘je veux’ adressés à Dieu comme un cri d’amour.

        « Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. »

        C’est sur ces mots que se finit la prière de Jésus. Après la mayonnaise de la parole et de la gloire, vient celle de l’amour. Et ces trois mayonnaises n’en font qu’une comme la Parole, la Gloire, et l’amour ne font qu’un en Dieu.

        Et nous dans tout ça ? Nous : chacun, chacune de nous et en communauté, est-ce que nous acceptons d’entrer dans le tourbillon de la mayonnaise ? On n’y entre pas par le mérite : l’amour nous précède. C’est bien compliqué de vivre pour ceux qui n’ont pas été aimé… ou mal aimé… ou que ceux qui les ont aimés n’ont pas su le manifester. La bonne nouvelle de Jésus-Christ, c’est que le Père nous aime. Il nous a créé par amour. Est-ce que je vais oser croire ça ? Mais souvent, une petite voix en nous murmure : « je n’en suis pas digne, je ne suis pas aimable. » C’est l’amour de Dieu qui me donne ma dignité. C’est l’amour qui rend digne. C’est parce que je suis aimé que je suis aimable. J’ai été aumônier dans des services de personnes polyhandicapées où nous pouvons être tenté de ne nous poser la question de leur dignité. Exemple : le petit geste de la jeune femme… Petit geste d’amour qui manifeste la dignité de la personne.

        Alors laissons-nous aimer et entrons dans la danse : l’Eucharistie nous y invite.