Dans la foi chrétienne, Dieu tout puissant est le vivant. Il était vivant avant que n’exista les galaxies et les soleils, avant que n’adviennent les premières planètes et que surgissent les comètes. Il était vivant avant que l’Esprit/Rouah souffla sur les eaux, avant l’apparition du premier brin d’herbe et des premiers oiseaux. Dieu n’était pas seulement vivant. Dieu était le vivant et tout ce qui existait venait de lui. C’est ce que nous croyons et que nous professons !
Mais Dieu était seul. Dans son immense puissance et son absolue existence, il était immensément seul. Alors il décida en lui-même de créer autre chose que lui-même… La tradition juive de la Kabale appelle cela le Tsim-tsoum : La contraction de Dieu pour permettre l’existence d’une réalité extérieure à lui. Comme la mer qui se retire et laisse apparaitre la terre…
C’est ainsi l’origine de la création. Et comme le désir de Dieu, son désir le plus profond, est de n’être plus seul, il « créa l’homme à son image et selon sa ressemblance ». Plus qu’une question d’apparence, pour que l’homme existe par lui-même, Dieu lui donna le souffle de vie, c’est-à-dire toute sa vie. Puis Dieu se fit humain… On connait la suite !
Voici le conte qu’on pourrait raconter aux enfants, comme autrefois, devant l’âtre, en se le racontant à soi-même. Et comme dans tout conte, il y a une part de vérité.
Dans la première lecture, le prophète Jérémie fait dire à Dieu qu’il « mettra sa loi au plus profond d’eux-mêmes ». Et aussi que « tous me connaitront, des plus petits aux plus grands ! » Cela signifie que nous avons chacun, depuis les origines, accès à la connaissance de Dieu. Déjà, il nous a donné le chemin pour le connaitre par la voie de notre conscience, avant la venue de son Fils.
L’évangile de Jean dit que des Grecs, qui montaient à Jérusalem pour adorer Dieu pendant les fêtes juives comme dit l’évangile, « voulaient rencontrer Jésus ». C’était ce qu’on appelait ‘des Gentils’, attirés par la religion de Moïse, mais restant en marge du peuple juif. C’est la raison pour laquelle le chemin que Jésus offre suscite leur intérêt. Mais comment entrer en contact avec lui ? Ils s’adressent alors à Philippe, le plus grec des apôtres. Et sans doute Philippe n’est-il pas totalement à l’aise avec leur demande : « Suis-je légitime pour les amener à Jésus ? » A son tour, il en parle à André, le premier des apôtres dans l’évangile de Jean, lui qui avait amené son propre frère, Simon-Pierre, à rencontrer Jésus en lui disant : « Nous avons trouvé le messie ! »
La rencontre avec le Christ n’est jamais seulement une affaire entre lui et moi. Elle passe par des médiations, et elle renvoie toujours vers les autres… On ne choisit pas le moment. Cuisinier en station de ski, je croisais des collègues qui suscitaient chez moi l’admiration par leur attitude, leur humour, leur courage aussi quand la vie était rude. Plusieurs m’ont demandé ensuite de les marier ou de baptiser leurs petits. Mais en vérité, ils m’avaient approché de Jésus, sans le savoir.
André et Philippe viennent trouver Jésus. Et ce qui devait être une simple rencontre s’avère être une révélation. Dans l’univers des évangiles, les juifs n’ont rien à voir avec les autres, ceux qu’ils appellent les païens. Mais pour Jésus, ce qui compte ce n’est pas son origine, sa tradition, mais sa quête, son désir de le rencontrer. Alors quand des Grecs veulent le voir, cela provoque chez Lui une prise de conscience qui l’amène à professer… sa mort prochaine ! Elle est comme la porte qui ouvre le message à toute l’humanité, par-delà les appartenances, par-delà la mort elle-même !
La glorification dont parle Jésus, c’est le passage par la mort car il révèle à toute l’humanité son identité réelle, par amour !
Jésus éprouve la peur car il parle de son trouble, son « âme tétanisée » ! Mais il ne cède pas à la peur. La mort doit être le sceau qui valide le message de toute sa vie ! Et sans doute ce sentiment habite-t-il toute personne qui aborde les rives de la fin de vie. « Quand on meurt, on est toujours seul ! » dit le roi d’Eugène Ionesco.
L’épitre aux Hébreux parle d’obéissance dans la souffrance. Obéir au Christ, c’est choisir de vivre selon son message. Ce n’est pas une obéissance dans la loi, comme une obligation. Mais une obéissance dans la liberté, par amour !
Ainsi, Dieu n’est plus seul, quand nous décidons de vivre par amour, sans retenue, là où nous sommes. La visite aux anciens ou aux malades, l’accueil des réfugiés ou même des sans-papiers, la présence aux plus fragiles, la lutte pour plus de justice… Mille manières de combler la solitude de Dieu en manifestant la sollicitude à celles et ceux qui sont seuls, mille façons de vivre le message de son Fils.
Le monde aussi est seul ! souffrance, violence, haine et indifférence… et tant de choses encore ! « Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi » disait Etty Hillesum du fond du camp de concentration. Et nous pouvons ajouter : « Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre dans ce monde qui a tant besoin de sentir la force de ton amour. »