Paroisse de la Bonne Nouvelle

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Homélie de la Toussaint 2023

En préparant cette homélie, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que celui qui prononçait ces paroles devait être profondément habité.

Habité de Dieu bien sûr, mais vous allez penser : “C’est normal, il est le Christ et est en connexion directe avec Dieu.” Je crois aussi que ses paroles sont tout autant habitées de la présence de ses parents, et le bain d’amour qui l’a vu grandir.

Pour rappel, Jésus est au début de sa prédication dans l’évangile de Matthieu. Il est un rabi débutant, et déjà des foules viennent de partout pour se faire guérir par lui et pour l’écouter parler. Alors il parle, et c’est comme un condensé de ce qu’il est et de ce qu’il veut transmettre à l’humanité.

“Heureux les ‘pauvres de coeur’, heureux ‘celles et ceux qui se savent pauvres en eux-même’ dit une traduction… On dirait aussi ‘ceux qui ne se haussent pas du col’… Ceux-là ont déjà accueilli le Royaume ! Être à la juste place et surtout la juste hauteur, il n’en faut pas plus pour Dieu !

“Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés !” Il ne faut pas se méprendre. Jésus ne dit pas qu’il faut souffrir et beaucoup pleurer pour être sauvés. Non ! Il connaît la nature humaine et sait que la souffrance est son lot. Mais elle ne peut être un objectif et n’est pas non plus un passage obligé. Seulement, celles et ceux qui sont dans le noir doivent toujours se rappeler qu’au bout de la nuit vient le jour. Toujours !

“Heureux les doux car ils hériteront de la terre”. Pour Dieu, le seul acte de propriété valable est la douceur.

“Heureux ceux qui ont faim et soif de justice : ils seront rassasiés”. Le texte original est intéressant ici : “Heureux les ayant faim et soif de la justice…” Plus qu’une action à faire, plus qu’un agir, il s’agit d’une manière d’être. Et d’une certaine façon, cette manière d’être trouve en elle-même sa propre nourriture ! C’est ainsi que Dieu rassasie ceux qui l’aiment.

“Heureux les miséricordieux. Il leur sera fait miséricorde !” Miséricorde… double étymologie conciliant le cœur et la compassion. ‘Compassion du coeur’ pourrait-on dire. A la mesure dont ton cœur sait pardonner, tu recevras toi-même les fruits du pardon !

“Heureux les coeurs purs car ils verront Dieu”. Voir Dieu dans la Bible, ce n’est pas donné à tout le monde. Moïse le premier le vit, mais de dos ! Les apôtres aux côtés de Jésus l’entendirent mais sans le voir. Avec Jésus, le chemin est plus facile. Il faut de la pureté à l’endroit du cœur pour ne pas se laisser piéger par la pureté idéologique ou religieuse, qui détournent de Dieu.

“Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.” On a dit aussi ouvriers, et le grec parle de ‘faiseurs de paix’. L’important c’est d’agir pour la laisser passer dans nos existences, à travers nos existences. Et il nous est parfois donné d’être de ceux qui apportent la paix. C’est le chemin de filiation divine, car Dieu ne veut rien d’autre que la paix et la justice, la paix dans la justice, comme dit le psaume 85 : “Justice et Paix s’embrassent”

“Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux.” Seconde référence au Royaume des cieux qui est aussi entièrement, totalement donné ! La pauvreté de cœur et l’engagement pour la justice apportent la même récompense. Il faut beaucoup d’humilité pour s’engager à dénoncer tout ce qui asservit des humains. Cela va jusqu’aux persécutions à cause de la fidélité au Christ ! “La récompense sera grande dans les cieux !” C’est tout à la fois une promesse, mais aussi un ancrage à la terre car beaucoup ont perdu la vie à cause de cet engagement.

Ces deux dernières béatitudes empêchent de considérer son auteur comme un doux rêveur. Il savait ce qu’il disait… et sans doute pressentait-il ce qui allait lui arriver !

Pour dire ces mots, pour oser les prononcer, il faut avoir grandi dans un bain d’amour, qui lui reste chevillé au cœur. J’ai pensé à ses parents.

Joseph, l’ouvrier charpentier qui a dû lui montrer le métier comme cela se faisait à l’époque, de père en fils. Et c’est en regardant son père travailler, en observant ses mains à l’ouvrage, porté par l’amour qui les reliait tous deux, qu’il a pu dire plus tard : “Je suis dans le Père et le Père est en moi”. Inspirée de sa relation à son père adoptif, sa relation à Dieu s’en est trouvée profondément imprégnée. Pour sa mère, c’est différent. Elle est celle qui l’a porté. Et quand elle a proclamé le Magnificat qui l’habitait, il en était habité lui-même, comme traversé, lui qui n’était pas encore advenu à la vie “Mon âme exalte le Seigneur… Il renverse les puissants… il élève les humbles.” Connaissez-vous l’histoire de ce vieux violoniste qui, sentant sa fin proche, veut transmettre son art. Mais il n’a pas d’enfants. Il se dit alors : “Je vais aller visiter toutes les femmes enceintes du village pour leur jouer de mon violon !” L’histoire ne dit pas si un des enfants devint un virtuose.

Seuls ces bains d’amour de la petite enfance offrent le carburant nécessaire pour traverser une vie !

Seul ce bain d’amour ouvrira le chemin du salut à l’humanité. Dieu n’a pas d’autre projet pour elle.

Pourquoi donc, 2000 ans après, celle-ci n’a toujours pas compris que Dieu n’était qu’amour et qu’il ne nous demandait rien d’autre que de le vivre ?

Patrick Salaün