« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse ! » dit Jésus… Pour le moment, il n’y a pas de quoi, pensent beaucoup, y compris parmi les chrétiens. Quand on voit l’évolution de notre société, l’actualité dans le monde, on se dit que les Béatitudes, ça attendra un peu, ce n’est pas de circonstance. Et puis ce texte, on nous le ressasse, on le connait par cœur, il n’a plus rien de nouveau à nous apprendre… Je comprends de tels sentiments mais je ne les partage pas. Je dis au contraire que les Béatitudes sont un texte capital pour notre vie chrétienne, c’est notre loi-programme.
« Jésus gravit la montagne », dit Matthieu. Quelques siècles avant lui, Moïse aussi a gravi la montagne, le lieu de la rencontre avec Dieu. Sur le Sinaï, il a reçu la Loi, des règles simples qui permettent de vivre en paix en société. J’ai relu attentivement le texte dans le livre de l’Exode et celui du Deutéronome. J’ai remarqué que la plupart des phrases de cette Loi sont à la forme négative : « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi ; tu ne tueras pas, tu ne feras pas de faux serment», etc… Il s’agissait alors de dire au peuple d’Israël que, pour être fidèle à Dieu, il ne devait pas agir comme les autres peuples, comme les Egyptiens qu’il venait de quitter ; d’où ces interdits. Israël avait été mis à part par Dieu, pour découvrir peu à peu qu’il y a un Dieu Unique, créateur, et qui fait alliance avec l’humanité par amour. Ces règles sont encore valables de nos jours. Par notre baptême, nous aussi nous avons été mis à part ; le psaume 4 nous le dit : « Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle ». Donc nous non plus, il y a des façons d’agir et de penser que nous ne devons pas nous permettre si nous voulons être fidèles à Dieu.
Mais… Car il y a un mais : dans la 1ère lecture, le prophète Sophonie constate que beaucoup dans le peuple ne suivent plus ces commandements, en particulier les chefs. Ils mènent le pays à la ruine, la déportation en exil à Babylone n’est pas loin. Mais il y aura ce qu’il appelle « un petit reste ». L’impression est la même aujourd’hui en Europe : beaucoup ont abandonné la foi, nous sommes un petit reste, qui continue à agir comme le dit le prophète : ne pas commettre le mal, ne pas vivre dans le mensonge. C’est à eux et à nous aussi que s’adresse la recommandation : « Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays qui faites sa volonté… Cherchez l’humilité. » Ne perdons pas notre temps à nous désoler, tenons ferme dans la simplicité, maintenons le cap, notre refuge est dans le nom du Seigneur, dit le prophète, « Emmanuel, Dieu avec nous. »
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse », nous dit Jésus, alors même que nous pouvons être dans les difficultés à cause de notre foi. Ces difficultés sont le signe que nous sommes bien sur le chemin de la vérité. On se moque de nous, on ne nous comprend pas si nous n’acceptons pas que l’avortement soit un droit constitutionnel, si nous nous opposons aux projets sur l’euthanasie et le suicide assisté. Le peuple d’Israël s’est écarté de la fidélité à Dieu, il a fini par être vaincu par les Assyriens et les Babyloniens. Cela me fait dire que notre société va se prendre le mur un jour où l’autre elle aussi. Ce n’est pas du pessimisme : le mensonge, la corruption, le refus du droit à la vie ne sont pas des bases solides pour que la vie ensemble soit possible. La loi donnée par Dieu au Sinaï est une Loi de salut.
Mais la preuve en est qu’elle ne suffit pas. C’est pourquoi « Jésus gravit la montagne », lui aussi, pour mettre à jour non pas la loi du Père mais notre compréhension de cette loi. Il a dit clairement qu’il n’est pas venu abolir la loi, mais la rendre parfaite. D’où la proclamation des Béatitudes, dont les phrases, cette fois, sont à la forme affirmative. Il ne s’agit plus de faire ou ne pas faire pour vivre heureux ; faisons nous aussi notre mise à jour avec Jésus ; il nous demande d’être : être pauvres de cœur, doux, compatissants, miséricordieux… Pour être vraiment chrétien, il ne faut pas nous contenter de faire ou ne pas faire. « J’ai pas tué, j’ai pas volé, je donne au Secours Catholique, au denier de l’Eglise, je suis un bon chrétien. » Non, pas du tout. Si je pense ainsi, je suis comme le pharisien qui se vante de respecter la Loi. C’est du formalisme et ça, Jésus n’en veut pas. C’est du creux, il n’y a rien à l’intérieur. Jésus nous demande d’être : être doux et humbles comme lui ; être compatissants et miséricordieux comme lui ; être soucieux de faire la volonté du Père comme lui. Tout cela par amour pour Dieu, par amour pour le prochain. On a de quoi faire.
Il ne sert à rien de respecter scrupuleusement les règles, ce qu’on appelait autrefois les commandements de Dieu et les commandements de l’Eglise ; ça ne sert à rien si nous le faisons pour être en règle et pas pour faire la volonté de Dieu. Et la volonté de Dieu, nous la connaissons : c’est l’amour. Finalement, tout simplement, soyons des amoureux, réjouissons-nous et soyons dans l’allégresse.
Diacre permanent