2 S 5, 1-3 ; Ps 121 ; Col 1, 12-20 ; Lc 23, 35-43
St-Jean du Baly, le 20/11/22
« Que ton Règne vienne » disons-nous régulièrement dans la prière du Notre Père, peut-être trop machinalement ? … Et si Dieu nous prenait au sérieux ; imaginons : s’il débarquait pour de bon dans notre vie pour y établir son règne. Est-ce vraiment que nous voulons : vivre avec Dieu ? Alors, prenons garde : la prière prononcée avec foi peut être « dangereuse », elle peut transformer notre vie … et même aller jusqu’à transformer notre monde.
Aujourd’hui, nous fêtons le Christ, Roi de l’univers. Rien que ça ! Roi de l’univers. D’ailleurs, une petite question liée à l’actualité : qu’est-ce ça vaut le titre « Roi de l’univers » ? est-ce au-dessus ou au-dessous du titre de vainqueur de la coupe du monde de football ?
Ces prochaines semaines, bien des prières seront prononcées avant d’entrer sur les terrains de foot. Seulement, Dieu ne peut pas faire gagner tout le monde… il y aura des vainqueurs et des vaincus.
Revenons à notre prière. Que disons-nous lorsque nous prions : « que ton Règne vienne » ?
D’abord, nous ne demandons pas la venue d’un roi politique, nous ne sommes pas non plus des nostalgiques de la chrétienté au temps où pouvoir politique et pouvoir religieux étaient mêlés.
Notre invocation au Christ Roi porte sur autre chose, même si nous pouvons légitimement désirer et encourager à ce que des chrétiens s’engagent en politique de manière désintéressée pour le bien commun, pour la défense des plus vulnérables. C’est important !
Dans notre prière quotidienne, en enfants de Dieu, nous nous adressons à notre Père qui est aux cieux, en lui demandant de venir régner dans notre vie. Pour le dire plus simplement, nous exprimons notre désir de l’accueillir, de le rencontrer, de faire l’expérience de sa Présence divine ici et maintenant, de communier à sa Vie divine sans attendre la fin des temps.
Cette demande, si nous l’adressons au Père, concerne aussi bien le Fils et l’Esprit Saint. Quand l’une des personnes de la Trinité est présente, les deux autres ne sont jamais loin. Pour le dire un peu familièrement, si Dieu le Père « débarque » dans notre vie, c’est toute la « famille royale » (non, pas celle d’Angleterre), la famille royale divine P.F.E, qui débarque pour nous entraîner avec elle dans un tourbillon d’amour, de justice et de paix. Et oui, frères et sœurs, c’est à cela que nous sommes appelés, c’est jusque-là que la prière chrétienne, adressée au Père par le Fils dans l’Esprit Saint, est censée nous entraîner, à vivre notre vie sur cette terre à 200%, à vivre toute notre vie avec Dieu. Uni à Dieu, notre vie humaine devient plus que notre vie, elle devient divine, i.e. le lieu où commence le Royaume de Dieu.
Désolé, la prière n’est pas faite pour celles et ceux qui aiment ronronner dans leur canapé. Prononcée avec foi, la prière peut devenir l’acte le plus révolutionnaire qui soit. Avec mon consentement, Dieu peut entrer dans ma vie, pour y opérer avec moi une conversion, y opérer la révolution de l’amour en bousculant mes priorités jusqu’à faire de moi un saint, une sainte.
Ouah ! je suis capable de ça, moi, petit être humain, bien imparfait, limité … accueillir Dieu dans ma vie, vivre avec Lui !
Ecoutons dans l’évangile la prière que prononce ce « pauvre » homme condamné à mort qui se tourne juste à temps vers Jésus, juste avant de mourir : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ».
Celui que nous surnommons le « bon larron » nous enseigne le sens de la prière du Notre Père.
Au lieu de verser dans l’ironie ou la moquerie comme les autres qui lancent à Jésus : « Sauve-toi toi-même », il choisit d’invoquer simplement avec foi le nom de Jésus qui signifie « le Seigneur-sauve ». Il lui demande humblement : « Sois avec moi, ne m’abandonne pas. Sois le compagnon de ma vie ; aime-moi, pauvre homme que je suis ! » C’est peut-être le cri de nombre de nos contemporains confrontés aujourd’hui à la souffrance et à la fin de vie.
Même à la dernière minute, à la dernière seconde de notre vie, Jésus se tient là, prêt à accueillir notre prière, il se tient prêt à nous sauver, à nous entraîner avec lui dans la Vie, lui « la tête du Corps, la tête de l’Eglise, c’est lui le commencement, le premier né d’entre les morts » (Col 1). A cette demande ultime, Jésus réponse par cette promesse : « Aujourd’hui, avec moi tu seras (au paradis) » = Dieu-avec-nous (Emmanuel)
Une année liturgique se termine déjà (en compagnie de l’évangéliste Luc). Avant d’entrer dimanche prochain dans le temps de l’Avent, prenons le temps cette semaine de nous arrêter pour approfondir le sens de notre baptême. Rappelons-nous, par notre baptême, nous sommes prêtres, prophètes et rois. Roi, car comme le roi David, nous avons reçu l’onction ; pour nous l’onction de saint chrême, l’onction du Christ Roi qui fait de nous des rois (reines).
Nous sommes appelés à exercer notre vocation royale, i.e. nous sommes appelés à vivre en « pauvres de cœur », en « petits », en « enfants », tous ceux dont nous parlent l’Evangile, ceux à qui le Royaume appartient. Des « pauvres » heureux d’appartenir à Dieu, heureux de recevoir notre vie de lui, d’accueillir notre salut de Lui.
Frères et sœurs, regardons vers la Croix, contemplons notre Roi vivant. Nous ne courrons pas derrière un roi qui vaut des millions au mercato ou un roi qui nous promet de gagner au loto. Nous adorons un Roi crucifié, un Roi qui a emporté la plus grande victoire pour notre humanité : il a cloué sur la croix toutes les forces de haine, de violence, de terreur qui puissent animer le cœur de l’homme. Ces forces n’ont plus de prise sur Lui, il les terrassées par la force paisible de son Amour vécu jusqu’au bout.
Jésus est libre, profondément libre ; même crucifié, il demeure plus que jamais libre. Face aux crachats, aux moqueries, aux injures ; on cherche à le ridiculiser « sauve-toi toi-même si tu es roi », le Christ garde le cap de l’Amour, du Don de soi, il accomplit librement sa vocation de Fils de Dieu : « non pas ma volonté, mais ta volonté » dit-il à son Père. Le Christ n’a pas seulement enseigné à ses disciples à prier le Notre Père, il a vécu totalement cette prière filiale : « Que ta volonté soit faite ». Mystère de la vie plus forte que la mort, mystère de l’amour plus fort que la haine : le Fils bien-aimé remet sa vie entre les mains du Père qui va lui rendre la Vie, en le ressuscitant. Mystère de la Vie et de la résurrection où les 3 personnes de la Trinité sont à l’œuvre. Une vie donnée et reçue dans le souffle de l’Esprit. Nous sommes baptisés au nom du P.F.E., nous sommes faits pour cette Vie-là, rien de moins !
Mes amis, nous adorons le seul Roi dont nous n’avons rien à craindre car il ne cherche pas à sauver sa pomme, il n’exerce pas non plus son pouvoir au détriment des plus petits. Ce Roi qu’on a affublé d’une couronne d’épines, Roi qu’on cherche à ridiculiser est le Sauveur de l’humanité, le Sauveur de ma propre humanité. Il est le Roi que nous célébrons aujourd’hui au terme de notre année liturgique. « Je suis avec toi » nous dit-il. Et moi, est-ce que je veux être avec Lui ? Est-ce que je désire qu’il vienne régner dans ma vie ?
Un Roi crucifié, flagellé, moqué, ridiculisé, humilié, … un Roi mangé. Oui, un Roi qui va jusqu’à se donner en nourriture pour s’unir à nous et nous communiquer sa Vie. Mystère de l’eucharistie que nous célébrons, mystère dont nous avons à vivre.
Avec le Christ, nous apprenons que sur cette terre (comme au Ciel d’ailleurs) nous ne sommes « pas à notre compte », nous nous recevons d’un Autre, nous recevons notre vie de Dieu. Notre vie n’est pas en nous-mêmes, dans le repli, la peur, le confinement, notre vie se découvre, se dévoile dans la sortie de nous-mêmes, dans la Relation avec Dieu et avec nos frères et sœurs. C’est cela, le Royaume de Dieu qui se découvre déjà sur cette terre !
Baptisés, nous ne pouvons pas garder pour nous un si grand trésor. Nous ne pouvons pas vivre pleinement notre vocation d’enfants de Dieu si nous restons seulement entre nous, entre cathos. Nous avons besoin de nous rassembler pour prier ensemble, pour célébrer l’eucharistie, pour manger ce Roi qui se donne pour nous nourrir de sa Vie, pour faire grandir en nous sa Vie, mais pour vivre pleinement, il ne suffit pas d’inspirer, il nous faut aussi expirer, il nous faut répandre la Bonne Nouvelle, la proclamer au monde par notre vie tout entière :
Célébrer le Christ Roi de l’univers, c’est l’annoncer par toute notre vie. C’est accomplir le service royal, à la manière du Christ, serviteur de l’humanité : servir d’écrin à cette pierre précieuse qu’est l’Amour de Dieu, offrir notre vie pour donner à contempler ce bijou inestimable, ce que peut accomplir l’Amour divin lorsqu’il est accueilli par un être humain, et ultimement par notre monde.
Alors tout sera récapitulé sous un seul chef, le Christ … lui, le premier des Vivants.